Depuis quatre ans, des deux côtés de la Manche, on m'interroge régulièrement sur l'effet du " Brexit " sur le recrutement des banques et des 'Global Markets' à Paris. Comme la politique occulte souvent la réalité, il est difficile de répondre à cette question. Si vous regardez les médias français, l'initiative Choose France et l'influent Paris Europlace, vous pourriez supposer qu'il y a une vague d'embauches irrépressible ! Mais est-ce vraiment le cas ? Et la ville célèbre pour ses arts, sa mode et sa culture est-elle vraiment à l'aise avec le titre de "premier centre financier d'Europe" ?
Paris s'en sort très bien. Plus important encore, la capitale a fait une déclaration audacieuse sur son avenir économique en surmontant la concurrence féroce de Francfort pour devenir le nouveau siège de l'Autorité Bancaire Européenne ou European Banking Authority (EBA) . Cette réussite est d'autant plus remarquable que Francfort est le siège de Banque Centrale Européenne (BCE) ou European Central Bank . Parmi les autres réalisations parisiennes importantes de ces dernières années, citons le fait d'être devenue la destination de choix pour le financement de projets, la levée de capitaux et le négoce de titres à revenu fixe dans la zone euro, ainsi que pour les équipes de gestion des risques et de conformité associée à cette activité, pour donner suite à la perte par Londres de ses droits de passeport pour l'Union européenne.
Qu'est-ce qui se profile à l'horizon pour Paris ? La bataille pour les services de clearing en euros pour les produits dérivés de gré à gré (OTC). Jusqu'à la mi-2025, un accord d'"équivalence temporaire" restera en vigueur pour les contreparties centrales britanniques. Le compte à rebours est lancé jusqu'à la prochaine offensive de charme de Paris.
L'exode est-il aussi important qu'on le dit ?
La réponse courte est "non".
Londres conserve officiellement 35 % du marché des prêts en euros et 40 % du marché des changes en euros. Dans une analyse récente, la BCE a constaté que 70 % des bureaux de trading en euros appliquaient encore un modèle de réservation back-to-back (c'est-à-dire un modèle dans lequel les opérations sont comptabilisées à distance et externalisées vers des entités non européennes, à savoir le Royaume-Uni). Les équipes de gestion des risques et de conformité associée sont également externalisées. Sur les 264 salles de marché analysées, seules 21 % sont importantes d'un point de vue prudentiel.
En bref, la majorité des cadres de négociation et de risque pour les activités libellées en euros se trouve toujours à Londres. Malgré l'évolution du paysage politique, le rythme du changement dans le monde des services financiers est toujours plus proche de la tortue que du lièvre.
Paris dépassera-t-elle Londres en tant que capitale financière de l'Europe ?
Peut-être, du moins d'un point de vue politique ou logistique. En tant que centre mondial d'activité commerciale et d'influence, cette perspective est toutefois très improbable. Il est important de noter qu'au moins publiquement, les ambitions de Paris ne s'étendent qu'au financement, au commerce et à la compensation liés à l'euro. Cette évolution semble logique et une conséquence inévitable du vote sur le Brexit.
Culture d'entreprise et défis en matière de recrutement : La voie est-elle libre pour les banques anglo-saxonnes et leurs employés locaux s'adaptent-ils rapidement ?
Beaucoup sont conscients que les modèles de travail français et anglo-saxon présentent à la fois des synergies et des antagonismes. Pour mettre l'accent sur les aspects positifs, la plupart des employés parisiens ont d'excellentes qualifications académiques. En outre, la France peut être une culture critique, ce qui entraîne une recherche constante de l'excellence. On ne peut pas faire moins !
Cela dit, le système des "cadres" et la séparation traditionnelle entre les employés de direction et les fonctions techniques dans le système français peuvent parfois être trop rigides pour s'intégrer confortablement dans le modèle anglo-saxon. * Toutefois, l'accent mis par la France sur le coaching en matière d'agilité permet de diluer quelque peu cette caractéristique. D'après mon expérience, certains dirigeants internationaux préfèrent explicitement embaucher des talents locaux ayant au moins six mois d'expérience internationale, car ces personnes sont considérées comme plus adaptables.
*Le terme "anglo" ou "anglo-saxon" désigne ici les banques de l'anglosphère, c'est-à-dire les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, le Canada et l'Irlande.
Banques et entreprises de marché anglo-saxonnes : Les statistiques
Depuis le Brexit, 5 500 professionnels de la banque d'investissement, des marchés, de la gouvernance et du support ont déménagé à Paris, dont les suivants :
- Bank of America : 600 employés sont installés près de la rue La Boétie dans l'ancien siège de la Poste, à proximité du boulevard Haussmann et de la rue Faubourg Saint Honoré, avec Roly Recruitment comme voisin !
- Barclays Investment Bank : 300 employés sont à Paris, et 200 autres devraient s'y ajouter d'ici 2025-2026. Le bureau de Paris est aussi grand que celui de Dublin et la banque prévoit de déménager dans de nouveaux bureaux plus grands près de l'Arc de Triomphe.
- Citadel Securities : La société a transféré ses équipes de trading sur la dette publique européenne à Paris.
- Citi : 400 employés et 250 traders sont installés rue Balzac dans le centre d'affaires Etoile, près des Champs Elysées.
- Goldman Sachs : plus de 400 employés sont installés avenue Marceau, dans le 16e arrondissement, à proximité des Champs-Élysées.
- JPMorgan Chase & Co. Morgan : 900 employés sont présents à Paris, dont 550 sur les marchés. Le siège de la société est situé place Vendôme.
- Macquarie Group : 100 employés sont situés au Rond-point Marcel Dassault, près du Palais de l'Elysée.
- Morgan Stanley : 300 employés sont basés à Paris, et la société souhaite porter ce nombre à 500 d'ici 2025.
- LCH : 250 employés sont à Paris, et une forte croissance est prévue au cours des deux prochaines années, Paris cherchant à attirer davantage de services de compensation de la zone euro.
Qu'est-ce que Paris offre ?
- Talent : Le talent. Paris peut s'enorgueillir de posséder certains des meilleurs jeunes talents du monde en matière d'ingénierie financière et d'affaires. École Polytechnique, Université Paris Dauphine - PSL, Paris-Pantheon-Assas University, Master Relations internationales | Panthéon-Assas & Sorbonne Université, IAE Paris - Sorbonne Business School, HEC Paris, EDHEC Business School figurent régulièrement dans les classements des établissements d'enseignement dans les domaines, entre autres, de la modélisation financière, de la science des données, de la finance quantitative, intelligence artificielle, et de la finance d'entreprise.
- Infrastructure: Dans le cadre du projet Grand Paris 2030, Paris devrait ajouter 68 gares et quatre nouvelles lignes ferroviaires grâce à un investissement de plus de 30 milliards d'euros. En outre, les Jeux olympiques de 2024 devraient avoir un effet d'aubaine, avec l'ouverture de la ligne 14 du projet du Grand Paris en 2024.
- Le Régime des Impatriés (Expat Income Tax Regime) Pour bénéficier du régime fiscal des expatriés, vous ne devez pas avoir payé d'impôt sur le revenu en France pendant les cinq années précédant votre installation, et vous bénéficierez d'une réduction d'impôt sur le revenu pouvant aller jusqu'à 30 % pendant les huit années où vous résiderez en France. Il existe également une réduction d'impôt pouvant aller jusqu'à 50 % pour certaines sources étrangères de revenus d'investissement. Notez toutefois que si vous changez d'employeur, vous perdrez ces avantages.
- Le tourisme : Si vivre dans La Ville Lumière ne vous suffit pas, partez en province ! Grâce au Groupe SNCF et le TGV, vous pouvez vous rendre presque partout en France en 1 à 3 heures, sans jamais mettre les pieds dans un aéroport. Mangez des fruits de mer La Rochelle, surfez à Biarritz, skiez dans les Alpes, visitez des châteaux dans la vallée de la Loire ou du canoë dans les Calenques à Marseille après une semaine bien remplie dans votre bureau parisien.
- Qualité de vieAh, la joie de vivre ! Ralentissez et laissez-vous tenter par les plaisirs simples de la vie. Vous vous apercevrez peut-être que vous consommez moins et que vous faites plus !
Londres peut-elle faire revenir les entreprises ?
Peut-être. Deux événements majeurs pourraient y contribuer :
- La suppression du plafond sur les bonus des banquiers (octobre 2023). La PRA et la FCA britanniques ont récemment annoncé l'abrogation par le Royaume-Uni de la législation européenne de 2014 sur la PRA qui réduisait la rémunération variable à un maximum de 100 % du salaire de base. Il s'agit là d'un changement de donne potentiel pour la candidature de Londres au leadership mondial.
- Adoption de la loi de 2023 sur les services et marchés financiers (Financial Services and Markets Act 2023). Cette nouvelle loi abroge certaines des directives européennes les plus prohibitives mises en place après la Crise financière globale. Elle va cependant plus loin en créant un régime de short-selling plus léger. Elle remplace l'obligation actuelle du Royaume-Uni de divulguer publiquement toutes les positions courtes supérieures à 0,5 %, révélant ainsi l'identité du vendeur à découvert. En vertu des nouvelles règles, les particuliers continueront d'être tenus de déclarer à la FCA les positions à découvert égales ou supérieures à 0,2 %, mais ils ne seront pas identifiés dans les déclarations publiques.
Conclusion
Le dividende a été décent mais n'a pas été la manne que Paris avait espérée.
Francfort, Amsterdam, Dublin et Luxembourg continueront à se faire concurrence pour toute activité liée à l'euro. Amsterdam mérite une mention spéciale pour avoir obtenu les bureaux pour les eurotransactions du plus grand groupe bancaire du Japon, MUFG , de la plus grande banque d'Australie, Commonwealth Bank , et de l'une des plus grandes banques du Royaume-Uni, NatWest Group . En outre, les bourses CME Group et Cboe Global Markets ont toutes deux mis en place des opérations importantes dans la "Venise du Nord".
À l'avenir, la consolidation du marché du clearing des transactions de gré à gré en euros pourrait changer la situation pour Paris. Le clearing d’Euro repo dette s'est déjà déplacé ici avec LCH SA Paris qui est maintenant une force dominante et qui bénéficie d'un pool de liquidité de plus de 4 trillions d'euros. La décision du LSEG (London Stock Exchange Group) , propriétaire de LCH SA de ne pas vendre sa part en 2016 après le Brexit, puis de pivoter et d'acquérir plus de capital par le biais de l'acquisition de 11,1 % de la participation d'Euronext dans LCH en juin 2023, s'est avérée être une décision judicieuse.
Paris continuera à séduire les dirigeants d'entreprise et à mettre en avant ses références en matière de banque et de marchés. Cependant, ses références non bancaires et les opportunités de style de vie qu'elle offre pourraient lui donner l'avantage sur ses rivaux européens.
Sources d'information
- Angrand Marc and Albert Eric 'Paris celebrates its post-Brexit finance gains' (London Le Monde (United Kingdom) correspondent) - June 29, 2023
- Bishop Graham, The Federal Trust - Federal Trust Briefing Juillet 2023
- Chmiel Damien - 'Citigroup plans to doble staff and open new trading floor in Paris' Finance Magnates - 06/03/2023.
- Enria Andrea ; président du conseil de surveillance de la BCE - Banque centrale européenne - Brexit and the EU banking sector : from the fundamental freedoms of the Internal Market to third country status - pour le numéro spécial de la Revue d'économie financière consacré au Brexit - 26 janvier 2023.
- Banque centrale européenne - Supervisory Expectations on Booking Models - août 2018
- Everett-Allen Kate 'Why Paris is packing a punch in 2023' 01 juin 2023 Knight Frank Intelligence Lab
- Loi sur les services et marchés financiers, chapitre 29 - 29 juin 2023 - Révocation du droit de l'UE dans le domaine des services et marchés financiers
- Katsomitros Alex "Amsterdam's Rise as Europe's Next Financial Centre", World Finance 2023
- Pearce Will, Herschovits Dan, Witty Simon et Chalmers Mark ' The Financial Services and Markets Act 2023 ushers in an era of major regulatory change in UK' - Davis Polk July 20th 2023
- Rau-Goehring Matthias "Impact of Brexit on the International role of the Euro" Banque centrale européenne Juin 2023
- Reynolds Barnabas, Donegan Thomas, Odgers Wilf, Allahyari Ella, Ormondroyd Nicholas, Collins Sandy, Barrowman Chloe, Scargill Michael - 'A boost for UK Financial Services - The UK Financial Services and Markets Act 2023' 31 juillet 2023 - Sherman Sterling
- Skinner Louise, Twitchett Thomas A.J et Kotecha Palomi - Morgan Lewis Newsflash - 3 novembre 2023